Ondine
Quand on nous a proposé ce thème, « La paix », avec la consigne de
développer le thème en Anglais, j’ai relevé le défi avec une joie sincère.
J’étais emballée à l’idée d’essayer, et effectivement, je me suis retrouvée
toute surprise en mettant le point final à mon discours, d’avoir fait un truc
aussi cool.
Lorsque je suis arrivée dans la salle, j’avoue m’être figée devant le nombre
de personnes présentes, on n’avait pas été prévenus qu’il y aurait autant de
monde. Parmi mes collègues de promo, sachant que ce n’était pas noté, et
qu’on était juste conviés, la plupart ne se sont même pas levés pour venir.
Les autres ont préparé quelque chose mais n’ont pas réalisé, je pense, la
mesure de ce qu’était cet évènement. Moi non plus, pour être honnête,
mais moi j’ai tellement aimé le sujet, que j’ai fait tout un truc qui,
finalement, s’est révélé pas si mal que ça.
En écoutant les étudiants qui passaient avant moi, j’étais tétanisée devant
leur impréparation, qui me semblait affliger tous ces gens venus de loin
pour nous écouter. Je pense qu’ils s’en rendaient compte eux-mêmes et en
étaient les premières victimes, pas les responsables. Les responsables sont
ceux de mon école, que je ne citerai pas ici par respect pour les diplômés
et étudiants qui en sont sortis, mais qui selon moi devrait fermer tout de
suite. Ces responsables qui nous ont répété pendant un an que le travail ne
paye pas, qu’il suffit de savoir se vendre.
Bref, ça m’a tenu à cœur tout au long de ma préparation, et, probablement,
ça s’est entendu dans mon discours. Une majorité d’étudiants ne se sont
même pas déplacés, mais ceux qui ont fait l’effort n’ont absolument pas
compris l’enjeu, parce que le mépris de l’institution qu’est cette école ne le
leur a pas permis. J’aime bien l’idée de faire partie des gens qui n’ont pas
besoin qu’on leur dise.
Dans la salle, il y avait un type, vers le milieu à droite, que je crois avoir
reconnu aujourd’hui, que je voyais désespéré devant la catastrophe. Il se
dandinait sur sa chaise comme s’il avait les fesses sur un barbecue. Je le
regardai avec beaucoup d’embarras, tant il devait venir de l’autre bout du
monde pour être traité à l’arrivée avec un mépris pareil. Je voyais bien que
sa peau n’était pas tout à fait blanche, qu’il devait être métis de quelque
chose, je ne savais pas trop quoi mais quelque chose de pas commun. Il
ressemblait à un Pharaon, qui se détachait largement au-dessus des autres
personnes autour. Comme s’il flottait. Je pense lui aussi avait une mission.
Je l’ai regardé autant que j’ai pu, comme si ça pouvait le figer à sa chaise
pour qu’il ne s’échappe pas avant mon intervention, pour que je puisse lui
prouver que moi, j’avais bossé, que je me rendais compte de l’humilité que
représentait ce probablement long voyage, à lui et aux autres membres de
l’assistance, pour venir nous écouter. Et je pense que lui aussi il fallait qu’il
reparte avec de quoi bosser mais ça je ne l’ai compris que beaucoup plus
tard. Je voulais aussi montrer à tous ces gens venus de loin que la France
n’est pas qu’une destination de loisirs et de RTT, mais aussi une terre
d’accueil, de travail, d’humanité. J’en doute aujourd’hui, mais pas à
l’époque. Il a eu l’air un peu scandalisé, comme s’il se demandait pourquoi
je le regardais comme s’il avait un bouton sur le nez. Donc j’ai regardé
ailleurs, et, à mon grand soulagement, il était encore là quand est venu mon
tour de parler.
J’ai pris la parole un peu tremblante, et c’est une dame devant dans
l’assistance, qui m’a encouragée d’un sourire, peut-être bien la chargée de
com du Parti Démocrate, je ne sais pas. Toujours est-il que je lui ai souri en
retour, et qu’à ce moment-là, c’était parti et on ne m’a plus arrêtée.
Le type en forme de pharaon, a compris assez vite que moi, j’avais travaillé.
Il s’est arrêté de se trémousser, j’ai vu du soulagement dans ses yeux,
comme si je l’avais sauvé d’un truc et après, il s’est mis à faire attention.
J’étais contente de moi, j’avais réussi mon coup. J’ai commencé mon truc,
en m’adressant à la salle, et, assez rapidement, il m’a demandé s’il pouvait
filmer. J’ai dit oui. J’étais là pour partager mon travail, les mecs venaient de
loin, autant qu’ils repartent avec un souvenir et que je n’ai pas fait tout ce
travail pour rien. C’est ça que je me suis dit sur le coup.
Pendant ce discours, j’ai dit des trucs, que j’avais rédigés par ce que j’y
croyais. Il y avait des chansons, des conneries, pardon mais c’est le mot.
J’ai parlé du livre de contrepèteries de mon oncle en choquant tout le
monde au passage. J’ai chanté, à moitié faux, des chansons des années 80
et de Massillia Sound System pour illustrer ce que je disais.
Je pense que tout le monde a été surpris, sauf un qui a chanté avec moi en
se tortillant, merci à lui pour être ce que l’on appelle un ami.
Cette tête des gens dans le public, c’était fantastique. Surtout au moment
du roman de contrepèteries. Les dames avaient la bouche ouverte
tellement elles étaient outrées, les contrepèteries ça ne doit pas être
courant dans tous les pays, on doit être les seuls dans ce pays à oser écrire
des trucs pareils. Je me suis excusée, mais en vrai j’étais écroulée de rire,
même si j’étais très très embarrassée. Oui oui, je me prenais au sérieux à ce
point.
Vous imaginez pourquoi je suis tombée des nues en réalisant par la suite,
beaucoup plus tard, ce qui peut-être s’était passé ce jour-là. Plus je parlais,
plus je voyais le regard du monsieur changer, je ne sais pas comment dire,
comme si j’avais dit quelque chose de vachement important et comme si
j’étais vachement précieuse. C’est ça que font les gens exceptionnels, ils
rendent précieux les êtres qui les entourent. Un Pharaon, je vous dis.
J’ai continué mon truc, et quand j’ai dit « Yes we can », je l’ai regardé lui et
j’ai levé le point en l’air. Quand j’ai terminé mon discours, il avait disparu.
C’est vers la fin que j’ai vu distinctement au fond à gauche de l’assemblée
un drapeau KKK. Je sais bien ce que c’est le KKK, enfin je le croyais. Je n’ai
pas fait attention, j’ai regardé ailleurs. Le monsieur Pharaon m’a montré un
papier avec marqué en gros « KKK=racist ». J’ai lu, je me suis dit « ah oui, ce
KKK ». Je me suis bien doutée qu’on ne serait pas d’accord. Mais on était en
France, je n’ai pas imaginé le danger.
Je crois que quand j’ai vu l’arme pointée sur moi, j’étais vers la fin du
discours. Sous le drapeau du KKK, un genre de mitraillette était dirigée vers
moi. J’ai pas du tout su quoi faire, en France on n’a pas le droit de porter
une arme comme ça. J’ai dit en anglais, distinctement dans le micro,
« there is a weapon targeted on me ». Je n’ai pas trouvé comment réagir
autrement. Je me suis juste dit que comme ça tout le monde était au
courant, que je n’étais pas toute seule avec ce truc démentiel. Je ne sais
pas si quelqu’un a compris, si c’était du Français ou de l’Anglais, ou ni l’un
ni l’autre tellement je paniquais. Si, un, Bruno Cabanes, parce qu’on a
l’habitude de gérer ensemble des mecs qui portent un flingue. Bref.
Vraiment, je ne le souhaite à personne. Je crois que tout ce que j’ai trouvé à
faire, c’est appeler la police avec mon portable, ils se sont foutus de moi en
me disant « on arrive ». Ils ont du bien rigoler quand j’ai dit « OK » et que j’ai
raccroché. Je pense j’ai fait leur journée et qu’ils se sont marrés pendant
une semaine entière dans leur police secours.
Oui, notre police ressemble à ça.
Et moi, sans trop savoir si j’y croyais ou pas tellement j’étais dépassée, je
me suis dit que j’avais fait la seule chose à faire, et quand j’ai levé les yeux,
l’arme avait disparu.
J’avais tout juste 26 ans, j’étais étudiante et je chantais des chansons
devant ce que je croyais être des étudiants étrangers. Personne n’a compris
où on était. Avec le recul, peut-être que c’était le but de l’équipe du futur
Président Obama, si c’était bien lui, ce dont je doute encore aujourd’hui.
Qu’on ne sache pas, et qu’on soit nous-mêmes. C’est leur métier, pas le
mien. Moi j’écris des trucs, c’est tout. En tout cas, ça a vachement bien
marché, sauf que moi j’ai eu la trouille de ma vie et je n’ai pas été la seule.
Je me suis éclatée avec ce discours, j’y ai mis tout ce que j’avais.
Visiblement, j’ai plutôt réussi, et j’ai vu avec un bonheur immense que mes
valeurs, ce que je crois juste, étaient partagés par quelqu’un qui venait de
loin, dont je croyais qu’il ne me ressemblait pas, mais qui voyait la même
chose que moi. Sauf qu’il était ma famille, mais que je ne l’ai pas compris
sur le champ. Trouver quelqu’un comme ça, ça valait tous les trésors, mais
j’avais vraiment eu très peur.
Après mon intervention une dame est venue me voir. Je crois la même
dame qui m’avait encouragée de ce fameux sourire avant que je parle, car
elle a dû voir que j’avais la trouille tellement il y avait de monde et elle
devait savoir qu’on ne savait pas où on était. Elle m’a demandé où j’avais
appris l’anglais, j’ai répondu « à l’école ». Je pense elle voulait plutôt savoir
si j’avais vécu à l’étranger, à l’époque ce n’était pas encore le cas. Elle m’a
demandé si je travaillais, j’ai dit oui, je livre des pizzas. J’étais étudiante, je
livrais des pizzas pour me faire de l’argent de poche. Plus je répondais, plus
elle ouvrait des yeux encore plus grands. J’ai demandé qui était le gars au
fond qui filmait, elle m’a dit qu’il voulait être président des Etats Unis.
On était dans la période George W Bush, qui avait engagé la guerre en Irak
pour de fausses raisons, et déclenché la colère des Américains contre la
France quand notre ministre Dominique de Villepin s’y est opposé à l’ONU.
Je crois aujourd’hui qu’Oussama Ben Laden a simplement voulu venger le
commandant Massoud en confondant CIA et Etats Unis, mais ce n’est
qu’une opinion personnelle.
Bref, le gars et son équipe venaient écouter des étudiants français, il était
de je sais pas quelle couleur, il m’écoutait parler alors que je n’étais
personne, et il voulait devenir président des Etats Unis. Je me souviens
avoir dit que si lui devenait président des Etats-Unis, « ça changerai mon
regard sur les Etats-Unis ». C’était vrai. Elle m’a demandé s’il pouvait
utiliser mes idées. J’ai dit oui, mais lui et personne d’autre, parce que je
savais qu’il n’en ferai pas n’importe quoi. Je ne sais pas comment, je le
savais. Elle m’a demandé si je voulais de l’argent, un boulot, j’ai été
tellement déstabilisée par la question, j’ai pas su quoi dire.
Et là j’ai réalisé que la police ne comptait pas venir, que depuis que j’étais
rentrée dans cette salle, il m’était tombé dessus plus d’informations que
j’étais capable d’en porter. Je lui ai refourgué mon numéro de téléphone et
je me suis enfuie en déposant mon discours dans la poubelle du couloir qui
menait vers la sortie.
En 2008, quand Barack Obama a été élu, je vivais à Dublin. Le jour de
l’élection, tout le monde était heureux. Moi je venais d’apprendre le décès
de ma grand-mère paternelle, j’étais en larmes devant la TV et je regardai
les gens en liesse, et Barack Obama répondant poliment aux journalistes,
avec sa prestance d’homme d’Etat. J’ai bien vu qu’il y avait un truc, mais je
n’ai pas compris quoi. Non seulement je n’ai pas fait le rapprochement,
mais honnêtement l’histoire du type de couleur presque aussi incertaine
que la mienne, qui se promenait à Nantes et voulait être président des
Etats Unis, c’était tellement gros, et la journée avait été tellement
éprouvante, qu’elle était déjà enfouie dans mes souvenir pour très
longtemps.
Je ne voyais aucun rapport entre ma petite vie d’expatriée en Irlande, et le
type à la TV qui devenait président des Etats-Unis en déjouant tous les
pronostics, rompant avec l’arrogance américaine et abattant des siècles de
préjugés racistes. Mais alors aucun rapport. Ma propriétaire est passée pour
je ne sais quelle raison à la maison en me disant « what a lovely day » avec
un grand sourire. J’ai compris sa joie, j’ai vu dans ses yeux qu’on était
d’accord, et je me suis remise à pleurer à cause de ma grand-mère. Elle m’a
gentiment consolée, et la vie a repris son cours.
Si j’ai bien compris ce qui s’est passé, ce dont je doute encore beaucoup
aujourd’hui, on a fait un super boulot. Peut-être bien qu’on a fait une
équipe par dessus l’Atlantique, capable de travailler à rendre le monde
meilleur. Et pour rendre le monde meilleur, il reste encore pas mal de
boulot. Mais plus l’équipe s’agrandit, plus on va pouvoir faire du bon boulot.
La langue des signes, ou cette complémentarité de nos deux langues, le
français et l’anglais.
Je ne sais pas dire pourquoi, mais dans mon esprit l’Anglais exprime
l’intuition et la magie, tandis que le Français raisonne et explique le monde.
En Français on analyse, en Anglais on synthétise. Comme l’ADN et le
microbiote en quelque sorte.
La beauté de la vie, de notre planète repose sur ces deux piliers, on ne peut
la comprendre sans l’un ou l’autre. C’est pourquoi, avec ces personnes
venues de l’autre côté de l’Atlantique avec leurs mots différents, nous
avons fait un si beau travail d’équipe. Sans nous reconnaitre, on savait
qu’on avait la même ambition, le même esprit d’équipe. Bon, on a perdu le
capitaine en route, il a disparu dans un chapeau dans l’Ohio.
Mon raisonnement sur ce qu’est l’identité française, sur ce que signifie la
paix pour moi en tant que jeune européenne, a raisonné pour eux et qui
sait, en d’autres personnes qui me sont chères, car ses valeurs sont les
mêmes que les miennes, même si nous les avons apprises autrement. Nous
avons été capables de cela parce que nos individualités et notre humanité
sont si proches, et parce que nos similitudes ont su faire tomber toutes les
apparences et les étiquettes. Même si nous semblons venir de deux univers
différents, nous sommes pareils, tellement ressemblants que nous
pourrions être des père et fille. On est noirs, on est blancs, on est tout en
même temps, on est une famille et les familles ne connaissent pas les
frontières.
C’est ce que je retiens de tout ça. Depuis que je me connais et malgré les
embuches, j’ai fait de mon mieux pour être à la hauteur de moi-même, et je
sais que d’autres sont faits de la même façon de l’autre côté de cet océan
qui nous sépare. Il me reste aujourd’hui à rester moi-même, à défendre ces
valeurs auxquelles nous avons cru tout ce temps, et à ne rien lâcher parce
que c’est la meilleure façon que j’aie de dire merci pour m’avoir laissée faire
tout ce bazar, et de ne jamais m’avoir laisser oublier que même dans
l‘orage, le soleil brille toujours quelque part.
Je veux croire que ce cadeau fait à ce pays ami me vaudra indulgence pour
toutes les fois où nous ne serons pas d’accord. Car ce président, comme
d’autres aujourd’hui, gouvernent avant tout un pays qui n’est pas le mien en
tout cas pas encore. Que cela ne nous empêche pas d’être des amis solides.
Je dirais même plus, une Famille.